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n’étaient-ils pas parvenus à s’emparer d’un seul homme, quand l’un d’eux, au dire du procès-verbal, le tenait par les cheveux ? Comment cet homme s’était-il trouvé mutilé, quand il eût été si important de l’avoir en vie ? Comment l’avait-on abandonné mort sur la route ? En vain, Foison, en réponse à ces questions, alléguait-il qu’ayant à moitié perdu la tête il n’avait pensé ni à faire garder le corps ni à envoyer chercher les magistrats. Ces explications embarrassées, loin de dissiper les soupçons du préfet, ne faisaient que les fortifier.

D’autres renseignements qui lui parvinrent les transformèrent en certitude. Un enfant raconta avoir vu, dans la salle d’un cabaret, Foison et ses hommes se partageant de l’argent. Un paysan affirma que le cheval blessé l’avait été volontairement et après coup. Enfin, Foison fut contraint d’avouer à M. Caffarelli qu’ayant trouvé des papiers sur le cadavre il avait dû, en raison d’ordres supérieurs, les apporter à Caen pour les remettre à M. de Pontécoulant, qui était aussitôt parti pour Paris. Il fut alors aisé au préfet de reconstituer la vérité. L’homme assassiné ne l’avait pas été par des malfaiteurs, ainsi qu’on s’était efforcé d’abord de le répandre, mais par les gendarmes eux-mêmes. Ils l’avaient surpris, saisi, fortement lié et ensuite fusillé. Les lettres de Caffarelli à Réal témoignent de son étonnement et de son indignation. « Quelles horribles conséquences tirer de ces faits, s’ils sont vrais ! Comment les gendarmes pourront-ils s’occuper de leurs fonctions sans crainte d’être traités comme des assassins, des bêtes féroces ? » Il se plaignait aussi de l’intervention, dans cette affaire, de Pontécoulant, dont le rôle lui semblait louche, offensant pour lui-même, tellement offensant que, plutôt que de se résigner « à être réduit à ce point pour des objets importants », il préférait se retirer.