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cieuse de la lumière, inquiétante comme tout ce qui se meut, regarde, et ne s’exprime pas. Sur la berge un chant d’ivrogne festonne en s’éloignant :

« Quand Cupidon… le matin… che réveille… »

Quelque Auvergnat en goguette regagnant son bateau à charbon. Cela lui rappelle Teyssèdre, le frotteur, et son verre de vin frais ; il le voit essuyant sa bouche d’un revers de manche : « Il n’y a que cha de bon dans la vie ! » Même cette humble joie de nature, lui, ne l’a pas connue, il est obligé de l’envier. Et se sentant seul, sans recours, sans une épaule pour pleurer, il comprend que cette gueuse là-haut avait raison et qu’il faut la faire une bonne fois, sa malle !…

Des sergents de ville trouvèrent, au matin, sur un banc du pont des Arts, un chapeau à larges bords, un de ces chapeaux qui gardent un peu de la physionomie de leur propriétaire. Dedans, une grosse montre en or, une carte de visite au nom de « Léonard Astier-Réhu, secrétaire perpétuel de l’Académie française, » sabrée en travers, de cette ligne au crayon : « Je meurs ici volontairement… » Oh ! oui, bien volontairement ! Et mieux encore que sa petite phrase d’une longue et ferme écriture, l’expression de ses traits, les dents