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à Onzain qu’à dix heures. « Vite un courrier… Bertoli… le meilleur cheval…  » En traversant les bois au raccourci, on arriverait avant la calèche ! Pendant que les ordres se hâtaient, elle écrivait debout, presque nue : « Revenez… tout ira selon votre désir… » Non, trop froid. Il ne viendrait pas pour si peu. Ce billet déchiré, elle en faisait un autre : « Ta femme, ta maîtresse, ce qui te plaira, mais tienne !… tienne !… » signa : « duchesse Padovani. » Puis, tout à coup, s’affolant à l’idée qu’il ne reviendrait peut-être pas encore : « J’irai moi-même… mon amazone, vite ! » Et, par la fenêtre, elle jetait à Bertoli, dont la bête piaffait devant l’escalier d’honneur, l’ordre de seller pour elle « mademoiselle Oger. »

Depuis cinq ans, elle ne montait plus à cheval. L’habit craquait sur la taille épaissie, des agrafes manquaient. « Laisse, Matéa, laisse… » Elle descendit l’escalier la traîne au bras, entre les valets de pied hébétés, la face vide, se lançait à fond de train par l’avenue. La grille, la route. La voilà sous bois dans la fraîcheur des chemins verts, des longues avenues où des vols, des bonds s’effarent à sa course effrénée. Elle le veut, il le lui faut, l’homme, l’amant, celui qui sait la faire toujours mourir, toujours renaître ! Maintenant qu’elle connaît l’amour, y a-t-il autre chose au monde !… Et, penchée, elle guette le train, ce