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son plus doux sourire Mme Védrine qu’elle avait reçue quelque temps à Mousseaux, les femmes regardaient curieusement ce ménage d’artistes, leurs beaux enfants pétris d’amour et de lumière, au repos, à l’abri dans cette anse de verdure, sur ce flot limpide et calme où se doublait l’image de leur bonheur. Védrine, les saluts faits, sans lâcher sa palette, donnait à Paul des nouvelles de Clos-Jallanges, dont la longue maison basse et blanche à toiture italienne se voyait à mi-côte dans les brumes du fleuve. « Mon cher, tout le monde est fou, là-dedans ! La succession de Loisillon les tourne-boule. Ils passent leur vie à faire du pointage ; tous, ta mère, Picheral, et la pauvre infirme dans son fauteuil roulant… Elle aussi a gagné la fièvre académique. Elle parle d’aller vivre à Paris, de donner des fêtes, des réceptions pour aider la candidature fraternelle. » Alors, lui, fuyant cette démence, s’escampait tout le jour, travaillait dehors avec sa smala, et montrant son vieux bachot, il riait sans l’ombre d’amertume : « Ma dabbieh, tu vois … mon grand voyage sur le Nil ! »

Tout à coup le petit garçon, qui, parmi tant de monde, de jolies femmes, de toilettes, n’avait d’yeux que pour le père Laniboire, l’interpella d’une voix claire : « Dites, c’est-y vous le monsieur de l’Académie qui va avoir cent ans ? » Le