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lui était inconnu ; et, tout de suite, se rappelant certaines conversations entre hommes, ces derniers jours, surtout les histoires terriblement salées du père Laniboire : « Bigre ! si elle nous a entendus… » se dit le joli gouailleur. Le verrou tiré, la duchesse passa devant lui sans un mot, et posant sur la table où il écrivait une liasse de papiers jaunis que froissait nerveusement sa main fine :

« Conseillez-moi, dit-elle, la voix grave… vous êtes mon ami… Je n’ai confiance qu’en vous… »

Qu’en lui, malheureuse femme. Et ce regard de proie, sournois, guetteur, ne l’avertissait pas, allant de la lettre imprudemment restée ouverte sur la table et qu’elle aurait pu lire, à ses beaux bras découverts sous le grand peignoir de dentelle, à ses lourdes nattes tordues pour la nuit. Il pensait : « Que veut-elle ? Qu’est-ce qu’elle vient chercher ? » Et elle, toute à sa colère, à ce remous furieux de rancune qui l’étouffait depuis le matin, haletait très bas, en phrases courtes : « Quelques jours avant votre arrivée, il m’a envoyé Lavaux… oui, il a osé… pour me demander ses lettres… Ah ! je l’ai reçu, la face plate, à lui ôter le goût de revenir… Ses lettres, allons donc !… c’est ceci qu’il voulait. »

Elle lui tendait la liasse, histoire et dossier de leur amour, la preuve de ce que cet homme lui