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veiller minutieusement l’installation de ses hôtes, ce fut du matin au soir dans ce parc de Mousseaux vallonnant à perte de vue les coteaux de la Loire, une course furieuse de bête blessée, traquée, qui s’arrêtait un moment, engourdie de fatigue, puis repartait sous une poussée de douleur. « Lâche !… Lâche !… Canaille !… » Elle invectivait l’absent comme s’il était à côté d’elle, comme s’il marchait du même pas fiévreux dans ce tournoiement d’allées vertes descendant jusqu’au fleuve en longs et ombreux lacets. Et, plus duchesse ni mondaine, démasquée, humaine enfin, elle livrait tout son désespoir moins grand peut-être que sa colère, car l’orgueil criait en elle plus fort que tout, et les quelques larmes débordant ses cils ne coulaient pas, jaillissaient, grésillaient en pointes de feu. Se venger, se venger ! Elle cherchait un moyen sanglant, tantôt imaginait un de ses gardes, Bertoli ou Salviato, allant lui mettre une chevrotine dans le front le jour même du mariage… Puis, non ! Frapper soi-même, sentir la joie de la vendetta au bout de son bras… Elle enviait celles du peuple qui guettent l’homme sous une porte, lui envoient par la figure une potée de vitriol dans un vomissement de mots épouvantables… Oh ! pourquoi n’en connaissait-elle pas de ces abominations qui soulagent, une ignoble injure à crier au traître et vil compagnon qu’elle voyait