Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nouement où pouvaient sombrer son œuvre, son nom, sa fortune, sa gloire, tout ce qu’il était, tout ce qu’il avait. Et de le voir s’en aller à grands pas vers la Cour des Comptes, livide, parlant haut, ne rendant aucun des saluts qu’il quêtait d’ordinaire jusqu’au fond des boutiques, les libraires du quai, les marchands d’estampes ne reconnaissaient plus leur Astier-Réhu. Lui ne voyait rien, personne. Il tenait imaginairement le bossu à la gorge, le secouait par sa belle cravate à épingle et, lui mettant sous le nez les Charles-Quint déshonorés par les manipulations de Delpech : « Cette fois, voyons… qu’avez-vous à répondre ? »

Arrivé rue de Lille, il poussa la porte en planches mal équarries dans la palissade qui entoure le palais, puis, le perron franchi, sonnait à la grille, sonnait encore, saisi par le lugubre aspect du monument dépouillé de ses fleurs et de ses verdures, la vraie ruine croulante et béante confondant ses ferrures tordues et ses lianes défeuillées. Un bruit de savates traîna par la cour froide. La concierge apparut, forte femme, et sans ouvrir la grille, son balai à la main : « Vous venez pour le relieur… nous n’avons plus ça chez nous… » Parti, le père Fage, déménagé sans laisser d’adresse ; même qu’elle était en train de nettoyer le logement pour celui qui le remplaçait à la Cour des Comptes, le bonhomme ayant démissionné.