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ces « archives » presque aussi commodes que celles des Affaires étrangères, où il entrait sans se courber, sans grimper l’échelle de son chenil de la rue de Beaune, auquel il ne pensait plus qu’avec colère et dégoût, par ce sentiment naturel à l’homme de haïr les endroits où il a souffert, d’une rancune qui dure et ne pardonne jamais. On se réconcilie avec les êtres, sujets à changer, à présenter différents aspects, non avec les choses et leur immuabilité de pierre. Dans la joie de l’emménagement, Astier-Réhu pouvait oublier ses colères, les torts de sa femme, jusqu’à ses griefs contre Teyssèdre, autorisé à venir, le mercredi matin, comme autrefois ; mais rien que de songer à la cage en soupente où on le reléguait naguère un jour par semaine, l’historien faisait grincer sa mâchoire avançante, redevenait Crocodilus.

Et conçoit-on ce Teyssèdre, que l’honneur de frotter à l’Institut, au palais Mazarin, laissait aussi froid, aussi peu impressionné, et qui continuait à bousculer la table, les papiers, les rapports innombrables du secrétaire perpétuel, avec sa même tranquille arrogance de citoyen de Riom en face d’un vulgaire « Chauvagnat. » Astier-Réhu, gêné sans l’avouer par cet écrasant dédain, essayait parfois de faire comprendre à cette brute la majesté de l’endroit où fonctionnait son pain de cire. « Teyssèdre, lui disait-il un jour, c’est ici l’ancien