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ieusement vers ce corps immobile de vaincu.

Il avait pourtant bien le sens de l’épée, celui-là. Ses doigts, solidement incrustés sur la garde, faisaient flamboyer, planer et fondre à pic, siffler et s’allonger la lame ; tandis que l’autre, en face de lui, n’agitait qu’un bègue et peureux tourne-broche. Comment cela s’est-il donc fait ? Ils diront, et, ce soir, les journaux répéteront après eux, et, demain, tout Paris avec les journaux, que Paul Astier a glissé en se fendant, s’est enferré lui-même, tout cela très détaillé, très précis ; mais, dans les circonstances de la vie, est-ce que la précision de nos paroles n’est pas toujours en raison inverse de nos certitudes ? Même pour ceux qui regardaient, pour ceux qui se battaient, quelque chose de confus, de voilé, entourera toujours la minute décisive, celle où le destin est entré, en dehors de toute prévision, de toute logique, a porté le dernier coup, caché dans cette nuée obscure dont ne manque jamais de s’envelopper le dénouement des combats Homériques.

Porté dans un petit logement de palefrenier attenant à l’écurie, Paul Astier, en rouvrant les yeux après une longue syncope, vit d’abord, du lit de fer où il était couché, une lithographie du prince impérial à même la muraille, au-dessus de la commode chargée d’outils de chirurgie ; et le sentiment rentrant en lui par la vue des objets