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d’Athis avait cela, il méprisait comme personne. Il méprisait de l’œil, ce fameux œil dont Bismarck n’avait pu soutenir l’éclat, il méprisait de son grand nez chevalin, de sa bouche aux coins tombants, il méprisait sans savoir pourquoi, sans parler, sans écouter, sans rien lire ni comprendre, et sa fortune diplomatique, ses succès féminins et mondains étaient faits de ce mépris répandu. Au fond, une tête en grelot vide, ce Samy, un fantoche que la pitié d’une femme intelligente avait ramassé dans la boîte à vidures, les écailles d’huîtres des restaurants de nuit, qu’elle avait hissé debout et très haut, lui soufflant ce qu’il fallait dire, encore mieux ce qu’il fallait taire, suggérant ses gestes, ses démarches, jusqu’au jour où, se voyant au faîte, il repoussait d’un coup de botte l’escabeau qui ne lui servait plus. Le monde, généralement, trouvait cela très fort ; mais tel n’était pas le sentiment de Védrine, et le « bas de soie rempli de boue » dit à propos de Talleyrand lui revenait à l’esprit en regardant le dépasser majestueusement ce personnage d’une si hautaine et louable correction. Évidemment, une femme d’esprit, cette duchesse, qui, pour dissimuler la nullité de son amant, l’avait fait diplomate et académicien, affublé de ces deux dominos superposés du carnaval officiel, aussi usés de trame l’un que l’autre, malgré leur prestige devant lequel la so-