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grandes pelouses où courait l’ombre moirée des arbres. Une cloche de grille sonna dans la campagne.

« Nous sommes arrivés… » dit le docteur qui connaissait l’endroit, les anciens haras du marquis d’Urbin en vente depuis deux ans, tous les chevaux partis, hormis quelques pouliches gambadant çà et là dans des prés coupés de hautes barrières.

On devait se battre tout au bas de la propriété sur un large terre-plein, devant une écurie de maçonnerie blanche ; et l’on y arrivait par des allées dévalantes, mangées d’herbes et de mousses où les deux troupes marchaient ensemble, mêlées, silencieuses, d’une absolue correction. Seul, Védrine, qu’assommaient les formes mondaines, au grand désespoir de Freydet solennel dans son faux-col, s’exclamait : « Tiens ! du muguet… » émondait une branche, puis saisi de l’immobile splendeur des choses devant l’agitation imbécile des hommes, ces grands bois escaladant la côte en face, ces lointains de toits massés, d’eau luisante, de brume bleue de chaleur : « Est-ce beau ! est-ce calme ! » faisait-il, montrant d’un geste machinal l’horizon à quelqu’un qui marchait derrière lui avec un craquement de bottes fines. Oh ! le mépris dont fut inondé l’incorrect Védrine, et le paysage avec lui, et tout le ciel ; car le prince