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guerite Oger, la belle actrice de drame, dont l’apparition soulève aux quatre coins de la place une longue rumeur, des bousculades curieuses. Un journaliste s’élance du porche au-devant d’elle, presse ses mains, la soutient, l’encourage.

« Oui, vous avez raison, je serai forte… »

Et ses larmes bues, renfoncées à coups de mouchoir, elle entre, ou plutôt fait son entrée dans la grande nef obscure que des cierges pointillent tout au fond, tombe à genoux sur un prie-Dieu, côté des dames, s’y prostre, s’y abîme, puis relevée, toute dolente, demande à une camarade près d’elle : « Qu’est-ce qu’on a fait au Vaudeville, hier ?

— Quatre mille deux !… » répond l’amie du même ton de catastrophe.

Perdu dans la foule, à l’extrémité de la place, Abel de Freydet entendait autour de lui : « Marguerite !… C’est Marguerite !… Ah ! elle est bien entrée… » Mais sa petite taille le gênait et il essayait vainement de se frayer un passage, quand une main lui frappa l’épaule : « Encore à Paris ?… La pauvre sœur ne doit pas être contente… » En même temps Védrine l’entraînait, et, ramant de ses coudes robustes, coupant le flot qu’il dominait de toute la tête : « La famille, messieurs !… » il amenait jusqu’aux premiers rangs le