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je mets à profit les délais de cette lente agonie pour me créer, dans l’Académie, des sympathies qui deviendront des voix. Léonard Astier m’a déjà présenté à plusieurs de ces messieurs ; je vais le prendre souvent après la séance, et c’est délicieux, cette sortie de l’Institut, ces hommes presque tous aussi chargés d’ans que de gloire, s’en allant bras dessus bras dessous, par groupes de trois, quatre, vifs, rayonnants, parlant haut, tenant le trottoir, les yeux encore humides des bonnes parties de rire qu’ils viennent de faire là-dedans : « Ce Pailleron, quelle verve !… Et comme Danjou lui a répondu !… » Moi je me carre au bras d’Astier-Réhu, dans le chœur des Immortels, j’ai l’air d’en être ; puis les groupes s’égrènent, on se sépare à un coin de pont en se criant : « Jeudi ! ne manquez pas… » Et je reviens rue de Beaune accompagner mon maître qui m’encourage, me conseille, et, sûr du succès, me dit avec son large rire : « On a vingt ans de moins quand on sort de là ! »

Réellement, je crois que la coupole les conserve. Où trouver un vieillard aussi ingambe que Jean Réhu dont nous fêtions hier soir, chez Voisin, le quatre-vingt-dix-huitième anniversaire ? Une idée de Lavaux, ce festival, et qui, si elle me coûte cinquante louis, m’a permis de compter mes hommes. Nous étions vingt-cinq à table, tous académiciens, hormis Picheral, Lavaux et moi : là-dessus