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en tréteaux, la chaise vide devant elle, les étagères sur lesquelles s’entassaient les livres et jusqu’au miroir à barbe pendu à l’espagnolette, tout était de petite dimension, à hauteur et à portée d’un enfant de douze ans ; on aurait cru l’habitation d’un nain, d’un relieur de Lilliput.

« C’est un bossu, chuchotait Védrine à Freydet, et un bossu à femmes, qui se parfume et se pommade… » Une horrible odeur de salon de coiffure, essences de roses et de Lubin, se mêlait au relent de colle-forte qui prend à la gorge. Védrine appela encore une fois vers le fond où était la chambre ; puis ils sortirent, Freydet s’amusant de cette idée d’un bossu Lovelace : « Il est peut-être en bonne fortune…

— Tu ris… Eh bien ! mon cher, ce bossu se paye les plus jolies femmes de Paris, s’il faut en croire les murs de sa chambre tapissés de photographies signées, dédicacées : À mon Albin… à mon cher petit Fage… Et pas de souillons : des filles de théâtre, la haute bicherie. Il n’en amène jamais ici ; mais de temps en temps, après une bordée de deux, trois jours, il vient, tout frétillant, me raconter à l’atelier, avec son hideux rictus, qu’il s’est offert un in-octavo superbe ou un joli petit in-douze, car c’est ainsi qu’il appelle ses conquêtes, selon le grand ou le moyen format.

— Et il est laid, tu dis ?