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pas les rudes commencements que j’ai eus, moi. »

S’animant au rappel de ses misères, elle racontait les leçons à vingt sous dans des arrière-boutiques, à des nécessiteuses comme elle, l’échange qu’elle faisait quelquefois d’une leçon de français pour une heure de son allemand, et les exigences des parents, une jeune fille obèse qu’il fallait promener en lui apprenant les langues, les verbes irréguliers récités sous le vent, sous la pluie, de l’arc de l’Étoile à la Bastille. Cela pendant des années, avec toutes les privations, les humiliations de la femme pauvre, les toilettes fanées, le déjeuner sacrifié aux six sous de l’omnibus, jusqu’au jour où elle était entrée comme professeur au pensionnat de Mme de Bourlon… un pensionnat très chic, rien que des filles de banquiers, de grands commerçants, Léonie Rougier, aujourd’hui comtesse d’Arlot, Déborah Becker, devenue la baronne Gerspach. C’est là aussi qu’elle avait connu une bizarre et jolie personne qu’on appelait Jeanne Châtelus, protestante exaltée, gardant toujours une petite bible dans sa poche, et faisant à ses compagnes, dans des coins de la cour de récréation,