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Puis, s’exaltant à propos de la fête nationale de la veille :

« Hein ? vous avez vu, Mme Ebsen ?… Était-ce beau !… Ont-ils gueulé !… Étaient-ils contents !

– Oui, j’entendais ça de loin, mais nous n’avons rien vu… Lina n’a pas voulu sortir. »

Magnabos s’indignait :

« Pas voulu sortir !… mais c’est notre fête pourtant, la fête des petits, la fête du peuple, la fin des superstitions et des privilèges… Des lampions ! Des lampions ! nom d’un tonnerre !…

– Mon ami… mon ami… » disait la pauvre Mme Magnabos, craignant de lui voir saigner son dernier poumon. Et son œil suppliant renvoyait Mme Ebsen qui rentrait par les rues encore pavoisées de drapeaux, d’emblèmes, de guirlandes feuillues détrempées par une pluie d’orage. Était-ce la vue de ce mourant, le chagrin de sa vaillante femme, peut-être aussi la tristesse de ce lendemain de fête ; mais Mme Ebsen se sentait envahie d’un malaise, les jambes molles de la fatigue qui restait dans l’air alourdi. Le Luxembourg qu’elle traversa lui parut immense et sinistre, avec le bois dégarni de ses estrades, de grands gibets verts éclatés et noircis où s’accrochaient