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barbu, entre trente-cinq et cinquante, des paupières de batracien et un creux de basse chantante, était une célébrité de réunions publiques. Il comptait des campagnes à la salle de la rue d’Arras, mais excellait surtout dans l’oraison funèbre. Il ne se faisait pas un enterrement civil de quelque importance où Magnabos ne prononçât un discours ; et comme ces cérémonies ne se renouvelaient pas assez souvent à son gré, il s’était affilié à une loge maçonnique, à la ligue des libres-penseurs, se tenant à l’affût dans les deux sociétés, surveillant les gens âgés, les malades, leur prenant mesure d’une oraison funèbre comme d’un cercueil en sapin, sachant au juste ce que pouvait donner chacun au point de vue du panégyrique. Puis, une fleur d’immortelle à la boutonnière, en sautoir le large ruban bleu, passé au vent, à la pluie, au soleil des enterrements de toutes saisons, Magnabos se hissait, bedonnant, pontifiant, sur le sillon des fossoyeurs, et disait quelque chose. Pas grand chose, mais quelque chose. Doucement cela tournait au sacerdoce. Son langage prenait de l’onction, son geste une autorité ; lui ; l’ennemi des prêtres, il en devenait un, prêtre