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pour les siens… Ah ! cette Jeanne Autheman s’y entendait à gouverner les âmes… et curieusement, pendant que la mère pleurait, elle regardait deux ou trois petits livres à tranches dorées, complices perfides du grand crime, restés sur la table comme des pièces à conviction… Heures du matin… Entretiens d’une âme chrétienne… Non vraiment, cette femme n’était pas la première venue. Sans le protestantisme, on aurait dit une sœur d’Antoinette Bourignon.

« Qui ça, Bourignon ?… » fit la mère en séchant ses yeux.

« Comment ! vous ne connaissez pas ? Une prophétesse du temps de Mme Guyon… Elle a écrit plus de vingt volumes…

– Qu’elle soit ce qu’elle ait voulu… » dit Mme Ebsen gravement… « Si celle-là aussi a fait pleurer les mères, ce n’était pas grand’chose de pon, et il vaut mieux n’en plus parler. »

Un instinct l’avertissait qu’Henriette n’était pas avec son chagrin et qu’elle n’osait exprimer tout ce qui gonflait sa lèvre, faisait briller ses prunelles pâles, frémir ses doigts osseux feuilletant les mystérieux petits livres.