Page:Daudet - L'Évangéliste, 1883.djvu/29

Cette page n’a pas encore été corrigée

grosse tour du château d’Amboise, dont la rondeur massive et noire s’étalait en face de sa tristesse de captive. Depuis quelque temps, elle n’habitait plus la maison des Gailleton, mais à côté, chez leurs « closiers » chargés de conduire le vignoble qui joignait le jardin.

La maladie s’aggravant, Mme Gailleton avait craint pour son carreau et son meuble le va-et-vient des soins, les tisanes qui poissent, l’huile de la veilleuse. C’est que, de l’aube à la nuit, la vieille femme ne quittait son plumeau, sa brosse, le morceau de cire, menait une existence de frotteur, toujours soufflant, dépeignée, à quatre pattes dans un hideux jupon vert, à entretenir sa chère maison, vrai type de la petite propriété tourangelle, toute blanche et coquette, avec la cocarde rouge d’un géranium à chaque fenêtre. Pour son jardin, l’homme était presque aussi féroce ; et menant le sous-préfet vers sa malade, il lui faisait admirer l’alignement militaire des bordures, toutes les fleurs aussi luisantes que si le plumeau de madame y avait passé : « Et vous comprenez bien, cousin, que des enfants par ici, ça n’aurait pas fait l’affaire… Mais nous voici chez la cousine… Vous allez la trouver changée. »