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diqua un chemin de traverse qui la conduirait droit sur le château, l’affaire d’une demi-heure.

Il faisait un temps doux, tout blanc, ouaté d’une brume qui montait des terrains détrempés par le déluge de la nuit, et qui attendait midi pour se résoudre en pluie ou s’évaporer sous le soleil. Longeant d’abord des murs de propriété, ouverts de loin en loin de hautes grilles qui laissaient voir des pelouses vertes, des corbeilles fleuries, des orangers alignés devant les perrons, tout un été surpris et grelottant dans le brouillard comme les robes claires des Parisiennes de la veille, Mme Ebsen se trouva subitement en pleine campagne : des pentes de vignes et de betteraves, des volées de corbeaux sur de grands espaces labourés, des champs de pommes de terre où des sacs alignés et tassés, des silhouettes d’hommes et de femmes, faisaient les mêmes taches grises et lourdes dans ces vapeurs blanches, étoupées au ras du sol.

La mère se sentait atteinte par cette tristesse des choses comme d’une oppression physique, qui augmentait à mesure qu’elle approchait de Port-Sauveur, dont elle apercevait les toitures rouges et les grands ombrages à mi-côte. Après