Page:Daudet - L'Évangéliste, 1883.djvu/222

Cette page n’a pas encore été corrigée

animée, et malgré son retard, l’œil assuré sous ses paupières grosses de larmes. Il y a eu un embarras sur la voie, un arrêt d’un quart d’heure à Choisy. Elle explique cela tranquillement, s’assied, réclame du pain au bedeau, sans vergogne. On cause ; elle se mêle à ce qui se dit, aisée, naturelle, parle tente, vigne, troupeau, comme une adepte, et ne se trouble qu’en entendant Anne de Beuil demander de son air de dogue :

« Qu’est-ce que c’est donc que ces gens de l’écluse ?… La femme est arrivée hier par la voiture… Une grande effrontée qui vous regarde dans les yeux… Elle avait une fillette par la main, la sœur du petit Maurice, paraît-il… Encore du fretin pour le curé ! »

Éline a pâli, un flot de larmes lui monte. Fanny, son enfant, là, tout près !… Sous ses paupières baissées, elle voit la tête mignonne et chétive, les cheveux plats, noués d’un ruban, si légers, si doux… Ah ! chérie… Et tout à coup, à côté d’elle, une voix de forçat râle dans le silence de la table effarée :

« Le gosse de l’écluse ?… Oh ! mince… J’y ai foutu une vraie chasse ce matin à ce carcan-là… »