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« Anne, Anne, ne désespérons pas le pécheur… » Et d’un geste, Mme Autheman apaise la sectaire avec la douceur infinie de Jésus reprenant Simon le pharisien. Puis, toujours calme, mangeant et buvant à coups mesurés, elle parle longtemps et d’abondance, de cette voix persuadante, qui fait haleter J.-B. Crouzat d’admiration, et berce la pauvre Éline, l’emporte dans un rêve mystique, une gloire d’or où elle voudrait disparaître et s’anéantir comme un éphémère dans du soleil.

Mais pourquoi cette jeune fille d’apparence si maniable, nature molle, sensible, qui s’émeut et pleure quand on lui montre l’énormité du péché, est-elle si longtemps rebelle aux décisions positives ? Voilà près d’un mois déjà qu’elle vient à Port-Sauveur, et la présidente s’étonne de n’avoir rien obtenu encore. Anne de Beuil aurait-elle raison ? Le malin triompherait-il de cette âme si précieuse à l’ŒUVRE sous tant de rapports ? Mme Autheman commence à le craindre ; et ce matin, lorsqu’en entrant dans la salle, à onze heures précises, elle ne voit pas Éline, humble et debout, attendant à sa place comme toujours, elle se dit : « C’est fini… elle ne viendra plus… » Mais la porte s’ouvre, la jeune fille paraît, tout