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Saint-Pétersbourg. Encore une éducation, c’est à dire l’abaissement et le servage. Mais qu’importe ? Ce malheureux essai de vie familiale vient de me convaincre que le monde est mort pour moi, la famille comme le reste. Mon cœur se ferme à la terre, Éline, et rien de la douceur humaine ne le pénétrera plus… »

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Éline recevait cette lettre d’Henriette Briss, un soir, en revenant de Port-Sauveur. Elle la lisait devant la table mise, les deux couverts en face l’un de l’autre, avec le bouquet que Mme Ebsen ne manquait jamais de poser dans le verre de sa chérie pour ce repas ensemble, une fête de chaque jour. Et, tout en attendant sa mère, elle restait immobile sans même se débarrasser de ses gants ni de sa toque, regardant cette lettre ouverte qui lui parlait des mêmes idées de mort, de renoncement, d’anéantissement en Dieu qu’on lui prêchait là-bas, pareilles dans les deux religions à la différence des termes. Dans le terrible combat qui se livrait en elle, quelle fatalité que cette voix découragée d’Henriette Briss venant s’ajouter aux paroles de Jeanne Autheman !