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robe à pèlerine d’Anne de Beuil. Tous les gens du château portaient le noir aussi, relevé d’un P. S. en métal sur le collet d’habit. On eût dit un de ces villages des Frères moraves, Hernnhout ou Nieski, sortes de communautés libres, d’une organisation si curieuse ; mais la dévotion de ces demi-religieux est sincère, tandis que les paysans de Petit-Port sont d’abominables hypocrites. Ils savent trop qu’on tient compte de leurs grimaces, et de leur allure contrite, ployée sous le péché originel, et des centons bibliques qu’ils mêlent à leur jargon campagnard.

Oh ! cette bible… L’air de tout le pays en est imprégné. Les murs suintent des versets, au fronton du temple, et des écoles, chez tous les fournisseurs du château. La boucherie porte en grandes lettres noires au-dessus de l’étal : MEURS ICI POUR VIVRE LÀ ; et l’épicier a écrit dans sa boutique : AFFECTIONNEZ-VOUS AUX CHOSES QUI SONT EN HAUT. Justement ce qu’il y a en haut, ce sont des flacons de prunes et de cerises à l’eau-de-vie. Mais les paysans n’en consomment guère, de peur d’Anne de Beuil et de sa police ; et lorsqu’ils veulent s’offrir quelque ribotte, ils vont à Athis, ou chez Damour, à l’Affameur. Du