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de touage dévidée sur le pont du remorqueur ne s’entendaient que de très loin, dans un bruit monotone et berceur élargi jusqu’aux deux rives avec les écumes du sillage. Sous le ciel clair, égayé par cette jeunesse du jour et de l’année, la campagne déserte, les maisons blanches espacées de verdure naissante, de lilas bleuissants, se déroulaient des deux côtés dans un bon vent de vitesse.

« Comme on est bien ! » disait Fanny, son bras sous celui d’Éline ; et cette petite voix d’enfant exprimait le sentiment de tous. Ils étaient bien. Pour la première fois depuis leur malheur, la jeune fille retrouvait des couleurs de santé, son frais sourire de fleur entr’ouverte, au contact de la nature qui berce et console. Mme Ebsen, comme tous les gens qui ont longtemps vécu, beaucoup peiné, jouissait tranquillement d’un jour de trêve. Lorie regardait les blonds cheveux follets voltigeant aux tempes, au front, au cou d’Éline, se figurant que c’était un peu son cœur à lui que le bras de son enfant rapprochait du cœur de la jeune fille. Mais le plus heureux était encore Romain assis à l’avant près de sa femme et lui parlant tout bas avec un regard finaud