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pour elle. Laideur intime ou visible, ils étaient tous atteints. Mais la fortune la tentait, une fortune colossale, à mettre au service d’œuvres pieuses. Elle eût accepté tout de suite, sans l’idée d’épouser un Juif, un réprouvé. Une heure de conversation avec Autheman, éperdûment épris, leva ses scrupules ; et le mariage eut lieu au temple, non à la synagogue malgré les cris de tout Israël.

Sitôt mariée, Jeanne se mit à son œuvre d’évangélisation, en plein Paris, comme si elle eût été chez les Cafres, aidée de toutes les ressources d’une immense fortune ; car la caisse des Autheman lui fut ouverte et les hautes cheminées de Petit-Port fumaient nuit et jour, l’or se liquéfiait dans les creusets, les fourgons roulaient lourds de lingots, de quoi racheter les âmes de l’univers entier. Elle eut des réunions de prières dans son salon de la rue Pavée, des prêches, d’abord restreints, dont la veuve Autheman entendait, le soir en montant chez elle, les cantiques et les accompagnements d’harmonium, de même qu’elle croisait dans l’escalier de bizarres et faméliques visages d’hallucinés, des habits râpés, des waterproofs pleins de boue,