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les unes contre les autres, les feuilles bizarres, desséchées et mortes.

À cette vie d’aventure en plein air, le petit roi devenait robuste et habile à toutes sortes d’exercices guerriers, maniant le sabre, la hache, à l’âge où les enfants s’accrochent encore au pagne de leur mère.

Le roi Rack-Mâdou-Ghézô était fier de son fils, de l’héritier du trône. Mais, hélas ! il paraît que ce n’est pas assez, même pour un prince nègre, de savoir tenir une arme et loger une balle dans l’œil d’un éléphant ; il faut aussi lire dans les livres des blancs, connaître leur écriture, pour pouvoir faire avec eux le commerce de la poudre d’or, car, disait le sage Rack-Mâdou à son fils, « blanc toujou papié en poche pou moqué nègue. »

Sans doute, on aurait pu trouver en Dahomey un Européen assez savant pour instruire le jeune prince, les drapeaux français et anglais flottant sur les factoreries au bord de la mer, comme aux mâts des vaisseaux amarrés dans les ports. Mais le roi avait été envoyé lui-même par son père dans une ville qu’on appelle Marseille, bien loin, au bout du monde, pour y devenir très savant, et il voulait que son fils reçût la même éducation que lui.

Quel désespoir pour le petit roi de quitter Kérika, de laisser son sabre au fourreau, sa carabine pendue aux murs de la case et de partir avec « moucié Bonfils, » un blanc de la factorerie qui, tous les ans, allait mettre en sûreté la poudre d’or volée aux pauvres noirs !