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emporté la lampe, et depuis lors Jack était resté éveillé.

À la lueur blafarde qui tombait du vitrage chargé de neige, il regardait ces lits de fer rangés pied contre pied dans toute la longueur de la salle, la plupart inoccupés, tout plats, leurs couvertures enroulées sur un bout ; sept ou huit seulement remplis, bombés par les mouvements des dormeurs et s’animant d’un souffle, d’un ronflement, d’une toux creuse, étouffée sous les draps.

Le nouveau avait la meilleure place, un peu à l’abri du vent de la porte et du train de l’écurie. Il n’avait pas chaud tout de même, et le froid, joint à l’imprévu de la vie où il entrait, lui tenait les yeux ouverts. Bercé par le vague de la longue veille, il revoyait toute sa journée en masse, illuminée de détails très précis, comme il arrive souvent dans le rêve où la pensée, traversée de grandes lacunes, se rattache toujours à elle-même par des fils brillants imprégnés de souvenirs.

Ainsi, la cravate blanche de Moronval, sa silhouette de grande sauterelle, où les coudes serrés au corps ressortaient derrière le dos comme des pattes, les lunettes énormément bombées du docteur Hirsch, son paletot étoilé de taches, étaient présents à l’esprit de l’enfant, et surtout, oh ! surtout, le regard hautain, glacial, ironique et bleu de « l’ennemi. »

L’effroi de cette dernière pensée était tel, qu’invo-