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— Est-ce qu’ils sont retournés en Égypte, comme ils en avaient l’intention ?…

— Sais pas… m’écrit jamais…

En vérité, l’échantillon de l’éducation Moronval-Decostère n’était pas heureux dans ses réparties ; et Jack faisait en l’écoutant de singulières réflexions.

La façon tout à fait détachée dont ce jeune homme parlait de ses parents, jointe à ce que M. Moronval disait tout à l’heure de la vie de famille dont la plupart de ses élèves étaient privés depuis l’enfance et qu’il s’ingéniait à leur restituer, lui causa une impression sinistre.

Il lui sembla qu’il allait être avec des orphelins, des enfants abandonnés, aussi abandonné lui-même que s’il arrivait de Tombouctou ou d’Otahiti.

Machinalement il se cramponnait à la robe de l’affreuse servante qui l’avait amené :

— Oh ! dites-lui de venir me voir… dites-lui de venir me voir !

Et quand la porte se referma sur les falbalas du factotum, il comprit que c’était fini, que tout un morceau de sa vie, son existence d’enfant gâté, entrait déjà dans le passé et qu’il ne revivrait jamais ces heureux jours.

Pendant qu’il pleurait silencieusement, debout contre la porte du jardin, une main se tendit vers lui avec quelque chose de noir dedans.

C’était le grand Saïd, qui pour le consoler lui offrait des bouts de cigare.