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Oh ! pourquoi n’était-il pas resté là-bas… ? Et, cette pensée lui revenant, il se dit que peut-être on ne voudrait pas non plus le prendre ici.

Un moment, il en eut bien peur.

Près de la table, autour du gros registre, les deux Moronval et Constant chuchotaient entre eux en le regardant. Il surprenait des bouts de phrases, des clignements d’yeux à son adresse. La petite femme à longue tête le regardait avec sympathie, et deux fois Jack l’entendit murmurer comme le prêtre :

« Pauvre enfant !… »

Elle aussi ?

Qu’est-ce qu’ils avaient donc tous à le plaindre ?

C’était quelque chose de terrible cette compassion qu’il sentait peser sur lui. Il en aurait pleuré de honte, attribuant en son âme enfantine cette pitié mêlée de dédain à quelque particularité de son costume, ses jambes nues ou ses cheveux trop longs.

Mais le désespoir de sa mère était encore ce qui l’effrayait le plus dans un nouveau refus.

Tout à coup il vit mademoiselle Constant qui tirait de son sac et alignait des billets, des louis, sur le vieux tapis vert taché d’encre.

Décidément on le gardait.

Il en eut une joie sincère, le pauvre petit, sans se douter que c’était le malheur de sa vie, de toute sa lugubre vie, qui venait de se signer là, sur cette table.