Page:Daudet - Jack, I.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait qu’un, et c’est Zénaïde qui allait l’avoir. Il lui coûtait cher, par exemple ; ou du moins il coûtait cher au père Roudic. Sept mille francs en beaux écus et en billets que le bonhomme avait amassés sou à sou pendant vingt ans. Sept mille francs ! Le brigadier n’avait pas voulu à moins. À ces conditions, il consentait à trouver à Zénaïde les traits les plus réguliers, la taille la plus menue, et à lui donner la préférence sur toutes les grisettes de Nantes, les belles paludières de Noirmoutiers et du Bourg-de-Batz, qui, en portant leur sel à la douane, lui faisaient la cour assidûment. Le père Roudic trouvait ses prétentions un peu dures. Toutes ses économies y passaient. Et s’il mourait, que deviendrait Clarisse ? Et s’il avait de nouveaux enfants ? Sa femme, en cette circonstance, s’était montrée très généreuse.

— Bah ! qu’est-ce que ça fait ? disait-elle, tu es encore jeune ; tu peux travailler longtemps. Nous ferons des économies. Donnons-lui toujours son brigadier. Tu vois bien qu’elle en est folle.

En femme amoureuse, elle devinait, elle comprenait la passion.

Depuis qu’elle avait vu la possibilité de devenir Mme Mangin, de donner le bras pour la vie à cet irrésistible brigadier, Zénaïde en perdait le manger et le boire. Elle se plongeait, elle pourtant si positive, dans des contemplations, des rêveries sans fin, restait des heures devant sa glace à se lisser, à se regarder, et tout