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l’écho dans toutes les poitrines. À l’émoi qui passe dans l’air, on reconnaît la mort, la mort imprévue, subite, qui s’ouvre le passage d’une main violente et forte. Pendant une minute c’est un tumulte, une terreur indescriptibles. Qu’est-il donc arrivé ? Entre une des chaînes de support subitement tendues à la descente et le dur métal de la machine, un des ouvriers montés sur la plate-forme vient de se trouver pris. « Vite, vite, garçons, machine arrière ! » Mais on a beau se presser et faire effort pour arracher le malheureux à l’horrible bête, c’est fini. Tous les fronts se lèvent, tous les bras se tendent dans une suprême malédiction ; et les femmes, en criant, se cachent les yeux de leurs châles, des barbes de leurs coiffes, pour ne pas voir là-bas les débris informes que l’on charge sur une civière. L’homme a été broyé, coupé en deux. Le sang, chassé avec violence, a rejailli sur les aciers, sur les cuivres, jusque sur le panache verdoyant. Plus de fifre, plus de cris. C’est au milieu d’un silence sinistre que la machine achève son évolution, pendant qu’un groupe s’éloigne du côté du village, des porteurs, des femmes, toute une suite éplorée.

Il y a de la crainte maintenant dans tous les yeux. L’œuvre est devenue redoutable. Elle a reçu le baptême du sang et retourné sa force contre ceux qui la lui avaient confiée. Aussi, c’est un soupir de soulagement quand le monstre se pose sur la chaloupe, qui s’affaisse sous son poids et envoie jusqu’aux rives deux