Page:Daudet - Jack, I.djvu/362

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passer dans les strophes du poëte, et les plaintes de la vapeur, le grincement des scies gigantesques, les coups sourds du marteau-pilon retentissant dans les halles embrasées, les faisaient ressembler, pour lui, aux cercles de l’enfer.

Un dimanche, Jack lisait devant l’auditoire ordinaire un passage de son poëte favori. Comme d’habitude, le père Roudic s’était endormi dès les premiers mots, conservant ce bon sourire d’intérêt dont sa bouche avait appris la forme et qui lui permettait de dire sans se réveiller : « C’est étonnant. » Les deux femmes, au contraire, suivaient la lecture avec une attention profonde et des impressions différentes.

C’était l’épisode de Francesca di Rimini :

« Il n’est pas de douleur plus grande que de se souvenir des temps heureux dans l’infortune… »

Pendant que l’apprenti lisait, Clarisse courbait la tête en frissonnant. Zénaïde, le sourcil froncé, droite et carrée sur sa chaise, tirait son aiguille avec fureur.

Cette poésie grandiose, traversant le silence de cet humble intérieur ouvrier, semblait à plusieurs ciels au-dessus de lui, de ses impressions, de ses occupations, de son existence ordinaire ; et pourtant, en passant là, elle remuait des mondes de pensées, elle touchait les cœurs, et, pareille à la foudre toute puissante, portait avec elle une électricité dangereuse, pleine de caprices et de bizarreries.

Des larmes coulaient des yeux de madame Roudic,