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Dans le brouillard d’argent qui enveloppait l’île, Jack voyait confusément de grands peupliers en files et de longues cheminées d’où montait une épaisse fumée noire, étalée, répandue, qui salissait le ciel au-dessus d’elle. En même temps, il entendait un vacarme retentissant, des coups de marteaux sur du fer, sur de la tôle, des bruits sourds, d’autres plus clairs, diversement répercutés par la sonorité de l’eau, et surtout un ronflement continu, perpétuel, comme si l’île eût été un immense steamer arrêté et grondant, activant ses roues à l’ancre et son mouvement dans l’immobilité.

À mesure que la barque approchait, lentement, très lentement, parce que le fleuve était gros et dur à passer, l’enfant distinguait de longs bâtiments aux toitures basses, aux murailles noircies, s’étendant de tous les côtés avec une platitude uniforme, puis, sur les bords du fleuve, à perte de vue, d’énormes chaudières alignées, peintes au minium, et dont le rouge éclatant faisait un effet fantastique. Des transports de l’État, des chaloupes à vapeur, rangés au quai, attendaient qu’on chargeât ces chaudières à l’aide d’une énorme grue placée près de là et qui de loin ressemblait à un gibet gigantesque.

Au pied de ce gibet, un homme debout regardait la barque venir.

— C’est Roudic, dit le chanteur, et de son creux le plus creux, il poussa un hurrah formidable, qui