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petite. J’ai eu la bêtise de lui apprendre ton départ tout à coup, sans ménagement… Ah ! les enfants… On croit qu’ils ne sentent pas les choses ; et ça vous a des chagrins autrement violents que les nôtres.

Il parlait à Jack comme à un homme. Tout le monde lui parlait comme à un homme à présent ; et pourtant à l’idée que sa petite amie avait été malade à cause de lui et qu’il s’en irait sans la voir, le vieux Jack se sentait envie de pleurer comme un enfant.

Il regardait les livres répandus, la grande pièce toute triste, mal éclairée d’une bougie posée sur un coin de table à côté du grog et de la bouteille d’eau-de-vie ; car M. Rivals profitait de l’absence de sa femme pour revenir à ses habitudes de bord. Aussi avait-il l’œil brillant, le bonhomme, et une singulière animation à fouiller dans tous ses livres, soufflant la poussière sur les vieilles tranches rouges, et vidant tout un coin de sa bibliothèque dans la caisse ouverte à ses pieds.

— Sais-tu ce que je fais là, petit ?

— Non, monsieur Rivals.

— Je choisis des livres pour toi, de bons vieux bouquins que tu emporteras, que tu liras, tu m’entends, que tu liras dès que tu auras une minute. Rappelle-toi bien ceci, mon enfant, les livres sont les vrais amis. On peut s’adresser à eux dans les grands chagrins de la vie, on est toujours sûr de les trouver. Moi d’abord, sans mes bouquins, avec le malheur que