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ment et sa nourriture chez nous, et je te promets de faire en sorte qu’il soit dans quatre ans un bon ouvrier. Tout le monde d’ici va bien. Ma femme et Zénaïde te disent bien des choses, et le Nantais aussi, et moi aussi.

ROUDIC,
Chef d’atelier aux halles de montage.

— Tu entends, Jack, reprit d’Argenton, l’œil allumé, le bras tendu, dans quatre ans tu seras un bon ouvrier, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus beau, de plus fier sur cette terre de servitude. Dans quatre ans tu seras cette chose sainte : le bon ouvrier.

Il avait bien entendu, parbleu ! « le bon ouvrier. » Seulement il ne comprenait pas bien, il cherchait.

À Paris, quelquefois l’enfant avait vu des ouvriers. Il y en avait qui habitaient dans le passage des Douze-Maisons ; et tout auprès du gymnase, une fabrique de phares dont il guettait souvent la sortie, laissait s’échapper, vers six heures, une troupe d’hommes aux blouses tachées d’huile, aux mains noires, rudes, déformées par le travail.

Cette idée qu’il porterait une blouse le frappa tout d’abord. Il se rappelait le ton de mépris dont sa mère disait autrefois « ce sont des ouvriers, des gens en blouse, » le soin avec lequel elle évitait dans la rue le frôlement salissant de leurs vêtements souillés.