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jours là. Comme il n’y avait pas de pharmacien à Étiolles, elle exécutait les ordonnances les plus simples de son mari, des potions calmantes, des poudres, des sirops. Depuis vingt ans qu’elle faisait ce métier, la bonne femme était arrivée à une grande expérience ; et même, en l’absence du docteur, beaucoup venaient la consulter. Les enfants s’amusaient de ces visites, épelaient sur les flacons opaques des mots de latin barbare « sirupus gummi, » ou bien armés d’une paire de ciseaux découpaient des étiquettes, collaient des petits sacs, lui maladroit comme un garçon, Cécile avec l’attention sérieuse d’une fillette qui deviendra une femme utile, préparée à toutes les minuties d’une existence laborieuse et sédentaire. Elle avait sous les yeux l’exemple de la grand’maman. Celle-ci menait la pharmacie d’abord, puis elle tenait les livres de son mari, inscrivait les ordonnances, s’occupait des rentrées, notait les visites faites dans la journée.

— Voyons, où es-tu allé aujourd’hui ?… demandait-elle au docteur, à l’arrivée.

Le bonhomme oubliait en route la moitié de sa tournée, et, volontairement ou involontairement, en supprimait toujours une partie, car il était aussi généreux que distrait. Des notes traînaient dans des maisons depuis vingt ans. Ah ! s’il n’avait pas eu sa femme, quel gâchis. Elle le grondait doucement, lui mesurait son grog, s’occupait des moindres détails de sa toilette ; et déjà, quand il partait, la petite lui disait très