Page:Daudet - Jack, I.djvu/276

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semblait dire : « Rappelle-toi » comme s’il y avait eu un peu de sa faute, à lui, dans le grand malheur dont ils étaient frappés.

Ce simple rappel à la tristesse suffisait pour le consterner, pour le faire taire ; et il restait silencieusement à jouer avec les tresses de la petite.

Dans ce milieu, l’enfance de Cécile se passait bien mélancolique. Elle sortait peu, vivait dans le jardin ou dans une grande pièce pleine de casiers, de bottes d’herbes, de racines en train de sécher qu’on appelait « la pharmacie. » De cette pièce, une porte toujours close donnait sur la chambre de la jeune femme tant regrettée, une chambre où toutes les étapes de sa courte vie étaient marquées par quelque souvenir de jeu, d’étude, de religion, de toilette : des livres, des robes rangées dans l’armoire, un tableau de communion accroché au mur, tout un musée de reliques déjà jaunies, où la mère entrait seule avec un soin pieux, sans que son regret fût jamais affaibli par les marques du temps visibles sur la fragilité des objets.

La petite Cécile s’arrêtait souvent, pensive, devant ce seuil fermé comme un caveau. Du reste, elle songeait trop. Jamais on ne l’avait envoyée à l’école, comme si on eût craint pour elle le contact des autres enfants du village ; et cet isolement lui faisait mal. Son petit corps se fatiguait de trop d’inaction. Il lui manquait ces turbulences de vie, ces cris sans cause, ces piétinements fous que les enfants n’ont qu’entre eux