Page:Daudet - Jack, I.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

missements, des modulations déchirantes, des cris lamentables… houoûou… Jack, dans son lit, avait une peur horrible, se cachait la tête sous ses couvertures pour ne plus entendre. Il tombait de là-haut une mélancolie atroce, à rendre fou.

— Mais elle m’ennuie, cette harpe !… Assez, assez… criait le poëte exaspéré.

Il fallut démonter toute la mécanique, porter la harpe éolienne au fond du jardin, l’enfouir pour l’empêcher de vibrer. Mais, même sous terre, elle sonnait encore. Alors on finit par casser ses cordes, par la tuer à coups de pied, à coup de pierres, comme un animal enragé qui ne veut pas mourir.

Ne sachant plus qu’inventer pour distraire ce malheureux dont l’inaction tournait à la manie, Charlotte eut une idée généreuse : « Si j’invitais quelques-uns de ses amis. »

C’était là un vrai sacrifice, car elle aurait voulu l’avoir à elle, tout à elle seule ; mais la joie du poëte quand elle lui apprit que Labassindre et le docteur Hirsch allaient venir le voir, la récompensa de son courage. Il y avait bien longtemps qu’il songeait à une diversion venue du dehors et qu’il n’osait en parler après toutes ses déclamations sur le bonheur de la solitude et de la vie à deux.

À quelque temps de là, Jack, en rentrant pour dîner, entendit aux abords de la maison un train inaccoutumé, des rires, des chocs de verres partant de la