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mittent qui ne l’empêchait pas d’aller à la huche, plusieurs fois par jour, se couper de larges croûtes de pain tendre qu’il enduisait grassement de fromage à la crème et dans lesquelles il mordait à pleines moustaches. À part cela, il avait tout d’un malade : l’allure alanguie, la mauvaise humeur, les exigences perpétuelles.

La bonne Charlotte le plaignait, le soignait, le dorlotait. Cette sœur de charité qu’il y a au fond de toute femme se doublait chez elle d’une sentimentalité bêtasse qui lui rendait son poëte plus cher depuis qu’elle le croyait très malade. Et que d’inventions pour le distraire, pour le soulager. C’était une couverture de laine qu’elle mettait sous la nappe pour amortir le choc des assiettes et de l’argenterie, un système de coussins dont elle bourrait le dossier droit de la chaire Henri II ; puis les petits soins, la flanelle, les infusions, toute cette tiédeur où les malades de bonne volonté endorment leur énergie, affaiblissent jusqu’au son de leur voix. Il est vrai que la pauvre femme, avec cette gaieté bondissante qui la reprenait quelquefois, anéantissait d’un coup toutes ses vertus de garde-malade, retrouvait son exubérance de paroles, ses gestes en guirlande, et ne s’arrêtait, un peu confuse, que devant l’agacement du poëte qui lui disait d’un ton dolent : « Tais-toi… tu me fatigues… »

Cette maladie de d’Argenton attirait dans la maison un visiteur assidu, le docteur Rivals, que l’on guettait au passage à tous les coins de route, sa clientèle très