Page:Daudet - Jack, I.djvu/254

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croyait mariés ; Jack passait pour l’enfant d’un premier mariage de madame d’Argenton.

Obligé de s’arrêter, de retenir un flot d’injures qui l’étouffait, d’Argenton, exaspéré, grotesque, tout trempé et fumant comme un cheval d’omnibus, monta rapidement dans sa chambre, dont il claqua les portes. Jack resta consterné en face du désespoir de sa mère qui tordait ses beaux bras en demandant à Dieu encore un fois ce qu’elle avait fait pour mériter une existence pareille. C’était sa seule ressource devant les complications de la vie. Comme toujours, la demande resta sans réponse ; mais il faut croire qu’elle avait dû commettre de bien grosses fautes pour que Dieu l’eût condamnée à devenir et à rester la compagne aveugle et obtusément éprise d’un être pareil.

Pour achever d’aigrir l’humeur déjà si noire du poëte, à l’ennui, à la tristesse de la solitude la maladie vint s’ajouter. Comme tous ceux qui ont vécu longtemps de vache enragée, d’Argenton avait un mauvais estomac ; très douillet en outre, très geigneur, il s’écoutait, — comme on dit, — et dans le grand calme de la maison des Aulnettes, rien ne lui était plus facile. Quel bon prétexte aussi pour expliquer la stérilité de son cerveau, les longs sommeils sur le divan, cette apathie qui l’accablait. Désormais le fameux : « Il travaille… Monsieur travaille » fut remplacé par : « Monsieur a sa crise. » Il baptisait de ce mot vague un malaise inter-