Page:Daudet - Jack, I.djvu/252

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ser. On le vit s’éloigner, le dos tendu à toutes les cruautés du sort, à toute la furie des éléments, et d’une voix lamentable, machinalement, il recommençait à crier sous l’averse :

« Chapeaux ! chapeaux ! chapeaux !… »

Dans la salle, il y eut un moment de silence, pendant que la femme du garde faisait flamber un feu de sarments dans la cheminée au vaste manteau, que Charlotte s’ingéniait à sécher les vêtements du poëte, et que celui-ci se promenait en bras de chemise, solennel et digne, en proie à une sourde colère.

Tout à coup, en passant devant la table, il aperçut le jambon, son jambon, où le couteau du camelot, guidé par un féroce appétit, avait fait des entailles profondes, des trous béants comme ces cavernes que la mer creuse à l’heure du flot, et dont on ne sait jamais la fin.

Il devint blême.

Pensez que ce jambon était sacré, comme le vin du poëte, son pot à moutarde, son eau minérale.

— Oh ! oh ! mais je n’avais pas vu ça… mais c’était un vrai festival… Comment ! le jambon aussi ?

— Ils ont touché au jambon ? demanda Charlotte en se redressant indignée, stupéfaite d’une telle audace.

La femme du garde ajouta :

— Ah ! dam, j’y avons ben dit que monsieur gronderait qu’on donne un si beau morceau de porc à ce