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d’un pas régulier sa rêverie ou son ennui, rouler sa chaire, pousser la table. Il avait commencé sa Fille de Faust, et s’enfermait toute la journée avec ce titre jeté par lui au hasard autrefois, mais qu’aucune ligne ne justifiait encore. Pourtant, il possédait tout ce qu’il avait toujours rêvé, du loisir, la campagne, la solitude, un admirable cabinet de travail. Quand il avait assez de la forêt, de ce reflet vert sur les vitres, il n’avait qu’à tourner un peu sa chaire et se trouvait en face des bleus variés, illimités de l’eau, du ciel, des lointains. Tout l’arôme du bois, toute la fraîcheur de la rivière lui arrivaient directement ; et le bruit plein du vent dans les branches, les murmures fuyants des lames, de la vapeur, accentuaient ce grand calme de la nature, l’élargissaient autour de lui. Rien ne venait le déranger ou le distraire ; seulement, au-dessus de sa tête, les piétinements des pigeons sur le toit et un « rrrouou » caressant comme le renflement de leurs cous nuancés.

— Dieu ! qu’on est bien ici pour travailler, s’écriait le poëte.

Aussitôt il saisissait la plume, ouvrait l’encrier. Mais rien, pas une ligne. Le papier restait blanc, vide de mots comme la pensée, et les chapitres d’avance désignés, — car la manie des titres le poursuivait toujours, — s’espaçaient, ainsi que des jalons numérotés dans un champ oublié du semeur. Il était trop bien, il avait trop de poésie autour de lui ; il étouffait de trop d’idéal et de bien-être convenu.