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moindres maladies. Il avait entre autres tout un peuplement de sapins attaqués par les bœstrichs, qui le rendait très malheureux. Ces bœstrichs sont de tout petits vers, qui viennent on ne sait d’où, par milliards, en rangs serrés, choisissent l’arbre le plus fort, le plus beau, le mieux portant et le prennent d’assaut. Pour lutter contre ces terribles invasions, le sapin a sa résine, et de toute sa force d’arbre, avec ce suc de sa sève qui en coulant lui emporte un peu de sa vie, essaye de résister à l’ennemi. Il répand des torrents de résine sur le bœstrich et sur les œufs déposés dans la fibre de son écorce, s’épuise, se dessèche dans cette lutte presque toujours inutile. Jack s’intéressait au destin de ces pauvres arbres, voyait ruisseler pendant le combat cette sueur odorante, ces larmes végétales lourdes à tomber, d’un ambre pur, plein de rayons. Parfois, le sapin parvenait à échapper à ce désastre ; mais le plus souvent il dépérissait, se creusait, et quelque jour le colosse couronné de chants d’oiseaux, de vols d’abeilles, tout murmurant des existences qu’il abritait et du souffle de l’air dans ses branches vigoureuses, prenait l’aspect d’un arbre frappé de la foudre et s’abattait enfin en laissant là-haut sur le flot des cimes le vide d’un engloutissement.

Les hêtres avaient un autre ennemi, une espèce de charançons, vermillonnés, presque imperceptibles eux aussi, et si nombreux, que chaque feuille portait