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avait pensé, le souvenir des coups sourds et des plaintes lugubres qu’il avait entendus tout un après-midi dans la chambre où le mulâtre et Mâdou étaient restés enfermés, l’aurait rempli d’épouvante et détourné de son projet.

« Elle est là ! » se dit l’enfant avec un transport de joie, en voyant de loin toutes les fenêtres de l’hôtel ouvertes et les battants du portail écartés, comme lorsque sa mère était prête à sortir. Il se précipita pour arriver avant que la voiture fût partie. Mais dès le vestibule, l’aspect de la maison lui parut extraordinaire.

Elle était pleine de monde, d’animation.

Sous le porche on descendait des meubles, des fauteuils, des canapés dont les étoffes couleur tendre, faites pour le demi-jour du boudoir, semblaient dépaysées dans la lumière de la rue. Une glace enguirlandée d’amours s’appuyait sur la pierre froide de l’entrée, pêle-mêle avec des jardinières fanées, des rideaux démontés, un petit lustre en cristal de roche. Des femmes en grande toilette circulaient dans l’escalier, et sur le tapis assourdi leurs pieds menus se croisaient avec les gros souliers des commissionnaires qui descendaient chargés de meubles.

Jack, stupéfait, monta mêlé dans cette foule, et il eut peine à reconnaître l’appartement, tellement toutes les pièces semblaient confondues dans le désordre de leurs meubles transportés d’un endroit à l’autre