Page:Daudet - Jack, I.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

niers, leur donnait le signalement de Mâdou, pendant que les enfants regardaient sur ces longues routes qui commencent aux octrois s’ils ne voyaient pas s’éloigner parmi les chariots vides ou quelques régiments en marche, la silhouette noire et simiesque du petit roi. Ensuite on se rendait à la préfecture de police à l’heure du rapport ; ou bien l’on entrait dans les postes, le matin, quand s’ouvrent les portes du violon et qu’on opère le premier triage dans ce grand coup de filet nocturne où se débattent tant de misères et tant d’infamies.

Ah ! il en ramène de la vase, l’horrible filet, en plongeant jusqu’aux fonds grouillants de la grande ville ; quelquefois cette vase est rouge, et quand on la remue, il en monte une odeur fade de crime et de sang.

Quelle singulière idée d’amener là des enfants, de leur remplir les yeux de toutes ces hideurs, de secouer leurs nerfs au tremblement de ces voix suppliantes, aux hurlements, aux malédictions, aux sanglots, aux chansons enragées, à toute cette musique infernale qu’on entend dans les postes remplis et qui leur a valu ce sobriquet grinçant et triste : le violon !

C’était ce que le directeur du gymnase appelait : initier ses élèves à la vie parisienne.

Les « petits pays chauds » ne comprenaient pas bien tout ce qu’ils voyaient, tout ce qu’ils entendaient, mais ils rapportaient de là une impression sinistre ; Jack surtout, dont l’intelligence était plus éveillée, plus