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Il resta avec sa mère qu’il ne trouvait pas assez gaie, assez riante pour ce jour de bonheur ; il éprouvait le besoin de se serrer contre elle, de l’admirer, de marcher dans la poussière de ses longues jupes de soie qu’elle laissait si royalement traîner. Assis tous deux, ils regardèrent le petit nègre se hisser tout en haut de l’éléphant avec une hâte, un frémissement singuliers.

Une fois là, il parut chez lui, à sa place.

Ce n’était plus l’enfant dépaysé, ridicule d’allures, de langage presque grotesque ; ce n’était plus le collégien gauche et mal tourné, le petit domestique humilié par ses fonctions serviles et la tyrannie du maître. Sous sa peau noire, ordinairement terreuse, on sentait circuler la vie, ses cheveux laineux se soulevaient sauvagement, et dans ses yeux, parmi les langueurs de l’exil, luisaient des éclairs de colère ou de domination.

Heureux petit roi !

Deux ou trois fois de suite on lui fit faire le tour des allées.

— « Encore, encore ! » disait-il, et sur le petit pont qui traverse la pièce d’eau, entre les enclos des onagres, des kanguroos, des agoutis, il passait et repassait, excité jusqu’à l’ivresse par l’allure pesante et rapide de l’éléphant. Kérika, le Dahomey, la guerre, les grandes chasses, tout cela lui revenait en mémoire. Il parlait seul, dans sa langue, et à cette petite voix d’Afrique, gazouillante, caressante, qui lui faisait fermer les yeux de plaisir, l’éléphant avait des barrisse-