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sion de poëte lyrique martyr de l’amour sans être touché de ces adorations muettes qui flattent en même temps deux amours-propres, celui de l’homme de lettres et celui de l’homme à bonnes fortunes. Depuis surtout qu’il avait aperçu Ida dans son luxe galant, un peu vulgaire comme elle, mais plein d’un bien-être moelleux, il se sentait envahi par je ne sais quelle langueur amoureuse qui fondait la rigidité de ses principes.

Amaury d’Argenton appartenait à une de ces anciennes familles provinciales dont les castels ressemblent à des grandes fermes, moins l’aspect riche et plantureux. Ruinés depuis trois générations, les d’Argenton, après avoir abrité entre ces vieux murs toute espèce de privations, une vie paysanne de gentilshommes chasseurs et laboureurs, avaient dû vendre cette unique propriété, quitter le pays et chercher fortune à Paris.

Depuis, ils étaient tombés si bas dans la misère et les mésaventures commerciales, qu’il y avait plus de trente ans qu’ils ne mettaient plus l’apostrophe de leur nom. En se lançant dans la littérature, Amaury reprit la particule, et ce titre de vicomte auquel il avait droit. Il espérait bien l’illustrer, et dans la ferveur d’ambition des commerçants, il prononça cette phrase impudente : « Je veux qu’on dise un jour le vicomte d’Argenton comme on dit le vicomte de Chateaubriand. »

— Et le vicomte d’Arlincourt… répondit Labas-