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féremment sur tout le monde excepté sur elle. Le fauteuil qu’elle occupait avait l’air d’être vide pour lui, et la pauvre femme était si désolée, si troublée de cette indifférence, qu’elle oublia de féliciter Moronval du brillant succès de son étude, qui venait de finir au milieu des applaudissements et du soulagement universels.

Après cette lecture expressive, vint l’audition d’un morceau de poésie de d’Argenton, accompagné sur l’orgue-harmonium par Labassindre. Cette fois elle écouta, je vous jure, et tous les poncifs, toutes les sentimentalités de ces vers lui arrivèrent jusqu’au cœur, filés, tremblés, modulés aux sons traînards de l’instrument. Elle était là haletante, fascinée, noyée par cette houle d’harmonie.

— Que c’est beau ! que c’est beau ! disait-elle en se tournant vers Moronval qui l’écoutait avec un sourire bilieux et jaune, comme si on lui avait crevé l’amer.

— Présentez-moi M. d’Argenton, demanda-t-elle aussitôt la lecture finie… Ah ! monsieur, c’est superbe ! que vous êtes heureux d’avoir un tel talent !

Elle parlait à demi-voix, en bégayant, en cherchant ses mots, elle si bavarde, si expansive d’habitude. Le poëte s’inclinait légèrement, très froid, comme indifférent à cette admiration émue. Alors elle lui demanda où l’on trouvait ses poésies.

— On ne les trouve pas, madame, répondit d’Argenton d’un air solennel et blessé.