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la réception, et Mâdou-Ghézô grelottant au vent de la porte, tout, oui, tout attendait la comtesse.

Cependant, comme elle n’arrivait pas et que c’était très froid, d’Argenton consentit à réciter son « Credo de l’amour » que tous les assistants connaissaient pour l’avoir entendu au moins cinq ou six fois.

Debout devant la cheminée, les cheveux rejetés, la tête haute comme s’il débitait ses vers aux moulures du plafond, le poëte déclamait d’une voix aussi emphatique et vulgaire que ce qu’il appelait son poëme, laissant des espaces après chaque effet, pour permettre aux exclamations admiratives de se faire jour et d’arriver jusqu’à lui.

Dieu sait que les Ratés ne sont pas avares de ces sortes d’encouragements.

— Inouï !…

— Sublime !…

— Renversant !…

— De l’Hugo plus moderne !…

Et celui-ci, le plus étonnant de tous :

— Goëthe avec du cœur !…

Sans se troubler, éperonné par ces louanges, le poëte continuait, le bras tendu, le geste dominateur :

Et de quelques lazzi que la foule me raille,
Moi, je crois à l’amour comme je crois en Dieu.

Elle entra.

Le lyrique, toujours les yeux en l’air, ne l’aperçut